Francis Ponge
09/04/2023
La fonction de l'artiste est fort claire : il doit ouvrir un atelier et y prendre en réparation le monde, par fragments, comme il lui vient.
La fonction de l'artiste est fort claire : il doit ouvrir un atelier et y prendre en réparation le monde, par fragments, comme il lui vient.
Les juifs affirment qu'ils ne savent pas ce qu'il y a après la mort. Ils pourraient le formuler autrement : Après notre mort, il y a ce que nous ne savons pas. Il y a ce qui ne nous a pas été révélé, ce que d'autres en feront, en diront et raconteront mieux que nous, parce que nous avons été.
Je cultive l'optimisme de la combativité. Je l'imbibe de la rosée, de la sueur de ces femmes, ces hommes, beaucoup de jeunes, pas que, qui rêvent encore, se battent, accueillent, se régalent de la rencontre avec les autres, y compris le migrant dépouillé de tout, sauf de l'essentiel : lui-même. Je l'arrose aussi des larmes de désespoir, ou de rage, de ceux qui n'acceptent pas l'ordre violent du monde. Ça donne envie de ferrailler, en joie et en fureur, contre les influences déclinistes, racistes, rabougries.
Je mets au dessus de tout, dans la vie et dans mes admirations littéraires, les moments où s'établit entre les êtres une confiance absolue. Voilà, c'est ma définition du bonheur. Sans mots. Sans jugement. Si précieux. Est-ce qu'on peut y arriver par acte de volonté ? Sûrement, mais pas complètement. Car cela tient aussi du miracle.
Tout le paradoxe du moi humain est là : nous ne sommes que ce dont nous avons conscience, et pourtant nous avons conscience d'avoir été plus nous-mêmes dans les moments précis où, nous haussant à un niveau plus élevé de simplicité intérieure, nous avons perdu conscience de nous-mêmes.
A la fin d'une vie, une fois dépassés les interdits qui ont étouffé notre jeunesse, on devrait pouvoir s'offrir quelques années de printemps.
Le féminisme à la française est fait d'une certaine façon de vivre et pas seulement de penser, qui refuse les impasses du politiquement correct, veut des droits égaux des sexes et les plaisirs asymétriques de la séduction, le respect absolu du consentement et la surprise délicieuse des baisers volés.
Il n'est pas bon de vivre sous des identités séparées, mais de sentir que celles-ci communiquent entre elles. J'assume les aspects divers de mon être, qui sont reliés. Je suis sceptique et je suis mystique, je suis rationnel et je suis religieux. Ce sont des complémentarités antagonistes, elles se combattent et se complètent en moi.
En lisant les commentaires du Talmud, je me suis souvent demandée si avoir été élevée dans la culture juive ne m'aurait pas empêchée de devenir athée.
On ne peut pas en permanence, vingt quatre heures sur vingt quatre, être triste, sidéré, abruti, ou sérieux, par tout ce qu'on voit de mortifère et de tragique dans le monde, si on n'a pas quelques portes de sortie que chacun doit, comme il peut, se construire. L'art, c'est aussi quelque chose qui soulage, qui allège.
La longue période que nous venons de vivre, avec l'ère industrielle et la mondialisation, est terminée, il faut faire notre deuil. Après les catégories mentales comme surconsommation, destruction, inégalités, paix relative, réchauffement, il faut passer à tempérance, lutte pour la paix, partage, habitabilité. Les grandes étapes du deuil sont le déni, la colère, la dépression et l'acceptation. Il faut pourtant agir, mais nous sommes encore coincés quelque part entre le déni et la colère !!